Une enfant pas riche qui aimait lire (pages 99 à 101)
Pauline - Nous étions habillées pareil quand nous étions
petites. Vous savez à quel âge j'ai fini par avoir la robe que
je voulais ? Et bien, j'avais 27 ans. Parce que, jusque là, j'avais
porté les vêtements d'une de mes cousines. Ma tante cousait
énormément, et sa fille lui avait toujours servi de modèle.
Quand ma cousine avait assez des habits qu'elle portait, ou que ma tante
avait envie de lui faire autre chose... elle envoyait les vêtements
à maman ! Et c'est comme ça que j'ai été
habillée pendant des années.
- Sans choisir...
P - Non, mais ça ne me déplaisait pas ! J'étais très
contente de voir arriver de nouveaux vêtements. On n'avait pas la vie
matérielle qu'on a aujourd'hui.
Il m'arrive, de temps en temps, d'avoir très mal aux pieds. Mais c'est
parce que je portais aussi les chaussures de ma tante qui avait le pied un
peu plus petit que moi. J'ai les doigts de pieds tout... (geste :
recroquevillés). Oui, et ce n'était pas toujours confortable.
Henri - Ça n'a pas été la joie, toujours...
- Ça aussi, ça demande un effort d'imagination...
P - Mais oui, mais il ne faut pas voir ça comme si c'était
un malheur. C'est un malheur aux yeux des gens d'aujourd'hui, mais les
circonstances étaient telles, autour de nous, qu'on acceptait ce qui
venait ! J'ai parlé, l'autre jour, avec une jeune femme qui habitait
à côté de Vierzon. Elle me racontait que chez elle, ils
étaient 14. Je lui dis « chapeau pour votre maman !.. »
- Mais elle me répond « vous savez, on n'avait pas d'argent,
mais on n'a jamais été malheureux ! »
On n'avait pas les besoins de maintenant. Toute mon enfance, je rêvais
d'une paire de patins à roulettes : je n'en ai jamais eu, mais ça
ne m'a pas tuée ! J'aurais voulu une moto - je n'ai jamais voulu de
voiture, mais une moto, oui - je n'ai jamais eu de moto !
- C'était votre rêve de l'époque ? Et qu'auriez-vous
souhaité d'autre...
P - Je rêvais de la campagne et j'aurais voulu y habiter, j'aurais
voulu être au bord de la mer, j'aurais voulu jouer du piano, j'aurais
voulu...
- Vous lisiez beaucoup, c'était dans votre tempérament
?
P - Oui, énormément. Mais d'une façon très «
hétéroclite » : je choisissais, ou alors je lisais des
livres qu'on me prêtait...
- Tout ce qui vous tombait sous la main ?
P - A peu près. Mais je n'achetais pas de livres.
- Vous alliez dans les bibliothèques...
P - Non, ça, je ne connaissais pas. Je lisais les livres que j'avais
sous la main, ceux qu'on me prêtait ou qu'on me donnait, quelquefois
je recevais un livre en cadeau. Henri m'en a prêtés pas mal
à partir du moment où je l'ai connu, mais cela, c'est à
partir de l'âge de 19 ans.
- Vous aviez donc l'école bilingue, les devoirs supplémentaires
pour apprendre l'orthographe et la grammaire, et en plus vous lisiez chaque
fois que vous en aviez l'occasion ?
P - Ça, je lisais quelquefois jusqu'à deux heures du matin,
comme une vilaine.
- Clandestinement ?
P - (rire)
- Vous aviez lu, étant jeune, les souvenirs d'une femme qui avait
été agent pendant la guerre de 14 ?
P - Oui : « Louise de Bettignies, soeur d'armes », d'Hélène
d'Argoeuvres. Mais, j'ai lu ça juste avant guerre. J'avais aussi lu
« Autant en emporte le vent ».
Un autre roman qui m'a beaucoup marquée, c'était « Les
clefs du royaume », de Cronin, prêté par la famille Hirsch.
Je l'avais lu en français, en 1943. Cela m'a ouvert les yeux, alors
vraiment, à une question de religion, parce que c'était l'histoire
de quelqu'un qui était profondément chrétien, mais en
butte, en même temps, à tout ce qui était administration
de l'Eglise. Ce livre m'avait énormément marquée.
Extrait du livre
« Pauline »
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25/12/97