La Bataille des Souches (pages 60 à 62)
Pauline - Quelques jours après le jour J (le
débarquement du 6 juin 44), un type est arrivé aux
Souches à bicyclette. Le gars posté en garde au bout du
chemin, sur la route, l'a arrêté et il me l'a
amené. Lorsque j'ai demandé au type d'où il venait
avec son vélo, il m'a dit « de Paris ». Je lui ai
demandé s'il avait vu des barrages en cours de route et quand il
m'a dit que non, ça m'a suffoquée. Ça voulait dire
qu'aucun des réseaux qui se trouvaient entre Paris et les
Souches n'avait obéi aux ordres de Londres, de barrer les
routes. Nous étions les seuls à l'avoir fait, en coupant
des arbres en travers de la départementale.
Immédiatement, j'ai pensé « mon Dieu, on est
tête de pont ! ». Ça n'a pas raté : deux ou
trois jours après, on a été attaqués. Le
« mouchard » avait repéré que nous avions
abattu des arbres... (Les Allemands ont utilisé, pendant un
certain temps, une espèce de petit avion qu'on appelait le
mouchard pour observer le terrain - dans les cas où ils le
connaissaient mal, évidemment).
Ils avaient dû en conclure que nous étions nombreux
à nous cacher dans le coin, dans les bois de la Taille de Ruine.
Je n'ai jamais compris pourquoi nous étions les seuls à
avoir obéi aux ordres (...)
Henri - Quand les soldats allemands sont arrivés, les gars
postés à l'entrée ont donné un coup de
clairon (mais pas très fort, apparemment !) C'était le
signal, en cas de danger. Seule Pearl a entendu : « On est
attaqués ! ». A ce moment-là, j'ai dit : «
Non, c'est dimanche : on n'est pas attaqués un dimanche...
» C'est complètement idiot, ça, comme
réflexion ! L'abbé Valuche était en train de dire
la messe, à côté, au château. Avec M.
Sabassier, on a essayé de voir qui approchait, mais
c'était loin, on voyait mal... J'ai eu une idée : «
on va tirer un coup de feu en l'air : on va savoir tout de suite si
c'est des Allemands ou des maquisards ». On l'a tout de suite su !
P - Je me suis habillée en quatrième vitesse, j'ai pris
mon sac et la boîte de cacao où il y avait l'argent.
Pendant que je descendais du grenier, les balles allemandes me
sifflaient aux oreilles. En bas, j'ai sauté sur mon vélo
et je me suis dirigée vers les dépendances du
château où était stockées les armes que nous
venions de recevoir. Elles n'étaient pas encore
dégraissées. Tant pis, je me suis empressée de
mettre les balles dans les chargeurs et les détonateurs dans les
grenades.
Un des gars est venu me dire de partir au plus vite : les Allemands
approchaient ! Ils avaient quitté les camions et ils
avançaient en tirailleurs le long de la plaine, en direction du
château. J'ai tout plaqué. Je suis partie, à pied,
vers la ferme de la Barraque, qui se trouvait à un
kilomètres et demi du château.
Henri, qui se cachait, a vu arriver deux Allemands par un chemin. Il a
tiré. Il en a tué un et il s'est replié. Je ne
voulais pas être prise dans une maison. Je me suis enfuie dans le
champ de blé. Juste après, j'ai vu les flammes jaillir de
la grange. Les Allemands y avaient mis le feu, en représailles.
Je me suis éloignée, craignant que le feu atteigne le
champ de blé. J'espérais rejoindre le petit bois. C'est
là qu'ils m'ont vue et qu'ils m'ont tiré dessus, mais
sans m'atteindre. J'avançais dans le champ à quatre
pattes, en progressant un peu chaque fois que des souffles de vent
faisaient bouger les épis. J'avais un revolver sur moi : j'ai
pensé que si j'étais prise, il valait mieux que je ne
sois pas armée, alors je l'ai enterré. D'ailleurs, on ne
l'a jamais retrouvé... Pendant toute la journée, je suis
restée cachée dans le champ. Je ne pouvais pas en sortir,
parce qu'il y avait sans arrêt des aller et venues de camions
allemands (Henri en a compté 56, ce jour-là). De plus, le
terrain était à découvert. A un moment, le «
mouchard » est passé : en l'entendant arriver, je me suis
recroquevillée, en espérant être prise pour une
espèce de paquet...
Vers 22h 30, toujours allongée dans le champ, je n'entendais
plus les camions. J'ai sorti la tête et j'ai aperçu la
fermière en train d'éteindre le feu. Je me suis
levée et j'ai fait un signe de la main, mais Mme Sabassier et sa
fille ont eu tellement peur, en apercevant quelqu'un à l'autre
bout du champ, qu'elles sont rentrées dans la maison ! Je les ai
rejointes. Elles n'avaient plus rien à me donner à manger
parce que toute la journée, elles avaient donné à
manger et à boire aux Allemands. Elle m'a quand même
trouvé deux oeufs. Je les ai mangés, puis je suis partie
chez les Trochet. J'avais bigrement eu chaud en plein soleil, et peur !
(...)
H - La bataille des Souches n'était pas une escarmouche, mais
une attaque préparée par les Allemands contre ce qu'ils
croyaient être un grand rassemblement de maquisards.
P - Plus tard, j'ai appris que nous avions été
attaqués, ce jour-là, par des troupes de trois garnisons
allemandes qui avaient encerclé tout le secteur de
Dun-le-Poëlier. Ce que nous avons vécu, nous, ce
n'était qu'un petit épisode de cette bataille. 32
Français y ont laissé la vie.
Extrait du livre
« Pauline »
- Copyright les Editions "Par exemple" - Pour tous renseignements
:
e-mail H.Larroque
visites
depuis le 25/12/97