Une terrible méprise (pages 50 à 52)
Maurice me dit, quelque temps avant son arrestation : « il y a des
parachutistes qui viennent d'arriver, ils ont de l'argent pour moi, il faut
que tu ailles le chercher. Tu vas à La Châtre, il n'y a pas
de mot de passe, nous ne connaissons personne là-bas et personne ne
te connaît. A tout hasard, tu dis que tu viens de la part de Robert.
Débrouille-toi ».
J'arrive donc à La Châtre, à l'adresse qui m'était
donnée. C'était une épicerie-bistrot, avec une dame
derrière le comptoir. Je lui dis :
- Bonjour madame, est-ce que monsieur Langlois est là ?
- Non, mon mari n'est pas là aujourd'hui.
- J'aurais vraiment besoin de le voir. Euh... je viens de la part de Robert.
Il y a de l'argent qui est arrivé, j'aurais besoin de cet argent,
c'est pour mon chef de réseau.
- Ben, non, il n'est pas là. Moi, je ne suis pas au courant.
- Quand est-ce que je peux revenir ?
- Et bien, revenez demain.
- Non, demain je ne peux pas revenir parce qu'il faut que je prenne le train
à Montluçon (il n'y avait que trois trains par semaine : je
ne pouvais revenir que le surlendemain).
Deux jours plus tard, je suis revenue de Montluçon à La
Châtre. En pénétrant dans le bistrot, j'ai vu la tête
de la dame - madame Langlois - et j'ai pensé « oh, je vais avoir
des ennuis !.. » Je l'ai senti tout de suite.
Entre par une porte un monsieur que je n'avais jamais vu.
Il dit :
- Bonjour madame.
- Bonjour monsieur.
- Moi, je suis Robert. Je ne vous connais pas !
- Je ne vous connais pas non plus, effectivement...
- Suivez-moi.
Il me fait monter par un escalier en colimaçon, et on arrive dans
une pièce. Je remarque une porte entrouverte... Il me fait asseoir
et il commence à m'interroger. Et comme on ne travaillait pas dans
le même réseau, toutes les personnes que je connaissais, il
ne les connaissait pas, et réciproquement. Alors là, j'ai
commencé à paniquer. Dans mon for intérieur, j'ai dit
« bonté divine, qu'est-ce que je vais lui dire ? » Je ne
voulais pas lui donner ma dernière carte, parce que ça
c'était encore une question de sécurité. Mais comme
toutes mes tentatives avaient échoué, c'était mon ultime
chance... Je lui ai dit :
- Est-ce que vous connaissez Octave ?
- Non.
- Mais Octave est monsieur Chantraine !
- Ah, oui-oui-oui...
- C'est chez lui que j'ai été parachutée le 23 septembre
!
A ce moment-là, 4 ou 5 gars sont sortis de la pièce d'à
côté. Ils avaient décidé que j'étais une
milicienne.
- A La Châtre, vous n'êtes pas passée très loin
de vous faire zigouiller (P acquiesce). Ce qu'ils craignaient, c'était
d'être pris à cause de quelqu'un dont ils n'étaient pas
tout à fait sûrs ?
P - N'importe comment, Robert avait décidé qu'il allait se
payer une milicienne. Et il était persuadé que j'en étais
une. Et il est évident que, lui travaillant d'un côté
et puis moi d'un autre, on ne connaissait pas du tout les mêmes personnes.
Et puis en fait, il y avait deux « Robert » : lui s'appelait Robert,
mais l'autre Robert que je connaissais, c'était Robert Chabenat, notre
contact à Châteauroux. Et c'est de la part de ce Robert-là
que j'étais venue. Pas celui qui m'avait interrogée...
- Pour ne pas prendre le moindre risque avec ses gars, il...
P - Ah bien lui, il s'était organisé pour me bousiller. Tout
était prêt.
- Les gars étaient dans la pièce d'à-côté,
ils avaient des outils à la main ?
P - Non, non... Il l'a lui-même écrit dans un journal de
résistants qu'ils avaient édité tout de suite après
la guerre. C'était fait à Châteauroux, ça s'appelait
« Le Bazouka ». Et il a publié un article, là-dedans,
expliquant qu'il avait eu l'intention de m'étrangler.
H - S'ils avaient voulu te bousiller, ils t'auraient bousillée...
- Vous n'êtes pas passée loin quand même ! (H et P
acquiescent)
P - Si je n'avais pas abattu ma dernière carte, je ne sais pas comment
je m'en serais sortie, je ne sais pas ! Si je n'avais pas connu Chantraine...
Alors, se faire bousiller par la Résistance, ça, je l'avais
mauvaise !
Extrait du livre
« Pauline »
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