Clermont et Michelin (pages 30 à 32)
Pauline - Au début, ma mission était : courrier pour
Maurice Southgate dont le nom de guerre était Hector Stationer.
C'était un copain de classe... Maurice était comme moi
britannique, né en France, et nous avions été
élèves à l'école britannique de Paris.
Il m'a accompagnée à Riom, dans la maison de l'ancien
directeur de l'école des beaux-arts, un homme qui avait
donné sa démission parce qu'il ne voulait pas suivre
Pétain. C'étaient des gens extraordinaires dont on n'a
jamais parlé, monsieur et madame Dezandes. Je suis restée
chez eux trois semaines, en attendant qu'on retrouve mes bagages. (...)
Maurice m'a présentée à l'agent de liaison du
responsable de l'Auvergne. Notre rendez-vous s'est passé d'une
façon assez marrante, Maurice l'avait fait exprès,
ça je suis sûre. Il avait dû dire au garçon :
« demain matin, nous avons rendez-vous avec un agent qui vient
d'arriver », et nous nous sommes rencontrés dans un parc
de Clermont-Ferrand. Si vous aviez vu la tête du gars quand il
m'a vue... (rire). Je n'avais pas compris pourquoi sur le moment. En y
réfléchissant après coup, je me disais : «
pourquoi avait-il l'air tellement surpris de me trouver là,
pourquoi ? ». Mais c'était ça : il attendait un
bonhomme, pas une bonne femme !
J'ai eu souvent affaire avec ce garçon-là par la suite
car j'ai beaucoup travaillé en Auvergne pendant la
clandestinité, avant de venir dans le nord de l'Indre et la
vallée du Cher. (...)
Clermont-Ferrand était entouré de vignes. Je suis
arrivée là en automne, devant cette ville que je ne
connaissais pas du tout. Les vignes avaient changé de couleurs :
elles étaient rouges, jaunes... C'était d'une
beauté... vraiment magnifique !
M. et Mme Dezandes prenaient un risque terrible en hébergeant
des agents. Leur maison était pour nous un havre de paix, on
était moins stressé. Mme Dezandes nous accueillait
toujours formidablement. Et quand vous pensez qu'elle trouvait le moyen
de nous nourrir, non seulement moi, mais aussi Francis Cammaerts -
alors que dans cette maison, il faisait un froid de canard parce qu'ils
n'avaient pas la possibilité de chauffer !
On essayait, autant que possible, de manger ailleurs que chez eux, mais
parfois, bon, et bien... On prenait là le petit déjeuner,
par exemple, ce qui n'était pas une petite affaire parce qu'il y
avait ni thé, ni café, ni chocolat, et encore moins du
lait. Alors, ils faisaient griller de l'orge et on prenait ça en
guise de café.
Les seuls moments de relaxe que nous avions, c'était dans les
maisons où nous étions reçus. Nous logions chez
l'habitant, et là, il y avait une entière confiance. Par
sécurité, on ne parlait pas de ce qu'on faisait, on
parlait de choses tout ce qu'il y avait de plus banales... Ils nous
aidaient formidablement.
Après mon arrivée, une grosse partie de mon boulot se
passait à Clermont-Ferrand. On reçoit un jour, par
l'intermédiaire de notre radio, Amédée Maingard
(à Châteauroux), un télégramme en forme
d'ultimatum : « ou vous faites sauter Michelin, ou on bombarde
». Oh là, je me dis... bombarder ça, c'est pas
possible, c'est absolument pas possible. Toutes les maisons... c'est
dans Clermont ! Alors je me mets en rapport avec M. Ingrand, le chef de
la Résistance dans la région, et je lui dis : «
voilà, c'est un ultimatum, qu'est-ce que vous voulez faire ?
»
La première fois que je l'avais vu, M. Ingrand, je lui avais
demandé « comment apprenez-vous à vous servir des
armes et des explosifs qu'on vous envoie ? ». Il m'avait
répondu : « par les erreurs que nous faisons ».
J'étais horrifiée : « quoi ? Mais c'est pas
possible ! » . Alors, je lui avais proposé de m'occuper de
l'instruction de son équipe de sabotage. J'avais ajouté,
cette idée m'ayant traversé l'esprit : « par
contre, s'ils ne veulent pas avoir une femme, je peux vous envoyer
quelqu'un d'autre », en pensant à Amédée. La
réponse a été la suivante : « Ils ne veulent
pas de femme ».
J'ai découvert que le fameux Gaspard, celui d'Auvergne -
Coulaudon, qui dirigeait l'équipe de sabotage du maquis
d'Auvergne - était anti-femmes, c'était incroyable !
C'est alors que je suis tombée malade. Avec mes douleurs
intercostales, je ne pouvais plus bouger. Je leur ai envoyé
Henri pour ne pas perdre le contact (il a passé toute la nuit
debout dans le train, entre Paris et cette petite gare d'Auvergne
où j'avais rendez-vous avec eux). Mais comme ils ne le
connaissaient pas, ils n'ont pas pris contact avec lui.
Henri - Ils étaient très méfiants, à tel
point que, quand je suis allé dans le patelin pour essayer de
dîner, j'ai eu beaucoup de mal à me faire servir un
casse-croûte !
P - La liaison a été arrêtée à partir
de ce moment-là, et Michelin a été
bombardé. Auparavant, l'équipe de Gaspard avait
déjà raté trois sabotages...
H - Ils avaient un système d'incendie, chez Michelin : le
premier coup ça avait provoqué une inondation...
- Et pour le bombardement, ils ont bien visé ?
P - Oui, exactement là où il fallait. Ça aussi, je
l'ai appris par la suite : un des fils Michelin était en
Angleterre, et c'est lui qui avait indiqué l'endroit exact
où la bombe devait tomber. On avait des gars qui étaient
absolument sensationnels pour les bombardements ponctuels. C'est
tombé en plein dans le mille.
Ils étaient en train de fabriquer du matériel pour les
Allemands, ben oui... Mais j'ai appris aussi par la suite qu'ils
étaient allés jusqu'à Madrid voir l'Attaché
militaire, pour essayer de s'arranger : ils avaient proposé de
saboter le matériel après qu'il soit sorti de l'usine,
pour éviter un bombardement.
Extrait du livre
« Pauline »
- Copyright les Editions "Par exemple" - Pour tous renseignements
:
e-mail H.Larroque
visites
depuis le 25/12/97